Depuis son dernier sacre de Champion de France, 4 années se sont écoulées. Malade et affaibli, il revient de la guerre épuisé, incapable de rivaliser avec la jeune génération de skieurs et notamment avec Kléber Balmat, l'homme fort du moment.
COUTTET CHAMPION, le skieur de haut niveau va alors entamer une seconde carrière, celle de guide de haute montagne. Il fut reçu guide le 17 juin 1920 et figure en N°1 du 3ème registre des guides. Dans le massif, il s'octroie plus de quarante premières ou variantes, et ce, toujours avec ses clients. Pas question pour lui de tenter des ascensions pour la gloriole. C'est ainsi que la 1ère traversée intégrale des arêtes au Rocher Saint-Julien à Buis-les-Baronnies lui échappa après trois tentatives avortées par le niveau insuffisant ou le manque d'endurance de ses clients. Et pourtant selon Auguste Ferrière, la traversée intégrale des arêtes du Rocher Saint-Julien, lui revient au moins moralement.
Mais avant d'entreprendre cette nouvelle carrière, Alfred COUTTET se refit une santé. Pendant de longs mois il ne mangera presque que du riz pour rétablir une digestion détraquée par les années de guerre en première ligne dans l'humidité boueuse des tranchées. Pendant cette longue convalescence, il est photographe filmeur sur les glaciers de Chamonix et tire le portrait des riches clients, princes ou aristocrates du monde entier venus s'essayer aux Sports de Montagne.
1910 • Entré comme porteur, puis comme guide à la compagnie, il en devint très vite l'un des maîtres grimpeurs les plus recherchés. Un jour, le hasard le mit en présence d'un Hollandais qui, ayant fait le mont Blanc en quinze heures, affirmait, très fier de sa performance, que nul ne pourrait réussir plus rapidement que lui cette ascension.
— Pas même un Chamoniard ! demande COUTTET.
— Pas même un Chamoniard.
Aussitôt, le jeune guide alerte deux de ses camarades, les frères Bouchards, qu'il sait vigoureux et très endurants.
— Soyez
ce soir, à 10 heures, devant la mairie, leur dit-il. Il y a un record à battre.
À 10 heures, ils partent, éclairant leurs pas d'une faible lanterne. Sans s'arrêter, ils traversent les Tissours, la Pierre-Pointue, le glacier des Bossons, le Grand Plateau. À l'aube, ils atteignent le sommet et repartent aussitôt. À 10h. 45 du matin, ils sont de retour à Chamonix, devant le bureau des guides, où l'on s'assemble déjà pour les féliciter. Et COUTTET, un peu essoufflé, dit seulement.
— C'était un vantard, ce Hollandais.
Le Mont-Blanc en moins de treize heures. Record effarant, si l'on songe qu'une caravane ordinaire met un jour et demi pour parcourir le même chemin. Jusqu'ici, du moins, personne n'a jamais essayé de ravir ce record à Alfred COUTTET.
[passage extrait de "Les guides de nos montagnes : à la veillée, dans un refuge" par Géo-Ch. Véran | Le Miroir du Monde N°117 du 28 mai 1932]
Avant la Grande Guerre, en réalisant cet exploit, le record Chamonix / sommet du Mont-Blanc / Chamonix en à peine 13 heures, record qui attendra près de 60 ans avant de tomber le 30 juillet 1968 avec Jean-Marie Bourgeois et René Secrétant en 8h48 (Philippe Gaussot a relaté cet événement en octobre 1968 dans le magazine Ski Français), il ajouta à son palmarès, la réputation d'être le guide le plus rapide de la vallée. Réputation qui le suivit d'ailleurs jusque dans les Dolomites italiennes où les guides italiens avaient une expression qui témoignait de leur admiration pour le guide chamoniard. Lorsqu'un grimpeur faisait une course avec brio, c'est-à-dire avec classe et rapidité, de Cortina d'Ampezzo à Val Gardena, on disait de lui qu'il avait fait “une course à la Couttet”.
1924 • Joseph DEMARCHI et Alfred COUTTET cofondent la Caisse de Secours en Montagne, destinée à venir en aide financièrement aux membres de la Compagnie des Guides de Chamonix en cas d'accident.
1925 • 2 juillet • Alfred COUTTET et son homonyme, Couttet Moussoux (guide), accompagnés de Louis Vachette et du jeune Roger Frison-Roche réalisent la première ascension du Doigt de l'Étala (2 830 m).
1927 •
- 4 août • Avec Victor Hugonnet et les guides Marcel Bozon et Edouard Ravannel, il signe une première au Capucin du Requin (3 047 m).
- 6 août • Après trois reconnaissances effectuées les 6, 13 et 29 août 1926 (la première avec Miriam E. O'Brien, son frère Lincoln O'Brien et un autre guide, la seconde et la troisième avec Miss E. O'Brien et Vital Garny), le 6 août 1927, Alfred COUTTET réalise enfin la 1ère ascension de l'Aiguille de Roc (3 409 m) dans le versant Sud-Est du Grépon avec Miriam E. O'Brien et Georges Cachat qui firent l'ascension en chaussures à clous, alors qu'Alfred COUTTET grimpa en scarpetti (espadrilles).
[Source, récit des trois tentatives et de la première par Miss E. O'Brien dans le BULLETIN de l'Appalachian Mountain Club - volume XXI N°10 - juin 1928]
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1928 •
- 14 & 15 juillet • Avec les mêmes compagnons de cordée que lors de la première ascension du Capucin du Requin, il réalise la première escalade de la Brèche (3 222 m) et de l'Aiguille de la République (3 305 m) par le versant Mer de Glace.
- 7 août • Avec sa cliente Melle Paule Brunaud et Alfred Burnet, Alfred COUTTET signe la première de l'arête du Requin (2 851 m).
C'est que, plus que tous les autres guides, celui-ci (Alfred Couttet) a le goût du difficile, de l'exploit irréalisé. Le risque est un attrait pour lui, lorsqu'il ne compromet pas exagérément la sécurité de ceux qui l'accompagnent. Aussi est-il le seul à s'être aventuré dans plusieurs ascensions que personne n'a refaites après lui.
L'une d'elles, et la plus dure, fut celle d'une pointe non encore baptisée, figurant sur la carte avec l'altitude de 2.851 mètres, qui est située au pied de l'aiguille du Requin. C'est une chandelle de granit, isolée, protégée par de longues parois effroyablement lisses, presque en surplomb sur le glacier.
— Monterons-nous là-haut ? avait demandé COUTTET à une jeune alpiniste très expérimentée, Mlle Brunot.
— Demain si vous le voulez.
Un bon montagnard, Alfred Burnet, fut choisi comme porteur, et, le matin, peu après 4 heures, la caravane quittait le refuge du Requin. À 7 heures, les trois grimpeurs étaient à pied d'œuvre. Longuement, COUTTET interrogea le rocher, cherchant son passage, explorant les moindres fissures. À 3 heures de l'après-midi, il dut s'avouer vaincu… provisoirement.
Le lendemain, très tôt, il était à nouveau devant "son" aiguille dénouant et roulant les cordes qu'il avait apportées. À 4 heures du soir, il touchait le sommet : il lui avait fallu près de huit heures pour franchir ces 60 mètres de hauteur, après trois "lancers"de corde successifs.
— Je serais étonné, reconnaît Alfred COUTTET quand on lui parle de ces deux journées mémorables, que la pointe 2.851, un instant menacée dans sa tranquillité, reçoive d'autres visites. Il faut, dans cette course, tant de patience, une telle volonté d'arriver en haut, pour un résultat purement acrobatique, en somme, qu'elle ne sera, vraisemblablement, pas refaite avant longtemps.
[passage extrait de "Les guides de nos montagnes : à la veillée, dans un refuge" par Géo-Ch. Véran | Le Miroir du Monde N°117 du 28 mai 1932]
De gauche à droite : Bradford Washburn, Alfred Couttet et Georges Charlet ;
et derrière l'objectif, André Devouassoux.
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1929 •
- 2 septembre • Première de la Face Nord de la Verte avec Bradford Washburn, Georges Charlet (frère d'Armand Charlet) et André Devouassoux (porteur).
- 12 septembre • Alfred COUTTET, Paul Leroy-Edwards et André Clérico, réalisent la première de la Dent du Crocodile (3 640 m).
- 12 septembre • Alfred COUTTET, André Clerico, J. W. Alexander et un anonyme réalisèrent selon l'addenda du Guide Vallot la première ascension de la pointe Nord de l'Aiguille des Deux Aigles (3 487 m). Mais une polémique existe et COUTTET CHAMPION et sa cordée auraient en fait réalisé la deuxième, la première revenant selon Robert Gréloz à H. Beaujard en 1905, soit 24 ans plus tôt. Mais celui-ci aurait utilisé une arbalète pour lancer une corde au sommet et finir l'ascension en se hissant à l'aide de cette dernière. Toujours selon Robert Gréloz :
"Alfred COUTTET fit cette ascension de manière plus élégante que ses prédécesseurs. Il passa bien une corde sur le sommet, et ce, uniquement par ses propres moyens, mais elle ne lui servit que pour penduler et gagner une vire ascendante qui court sur le versant des Pélerins. Cette vire aboutit à une fissure qui fend la dernière partie du monolithe par laquelle il put se hisser au sommet. Le passage, d'après Alfred COUTTET, est un des plus exposés et des plus délicats qu'il ait jamais rencontré."
1930 •
- 12 août • Les frères De Lepiney avaient forcé la fameuse fissure de la face Nord Ouest du Peigne, mais pour terminer l'ascension, ils avaient dû faire appel à une aide extérieure : Alfred COUTTET. Celui-ci s'attaqua au dernier surplomb et le réussit en escalade libre !
- 31 août / 1er septembre • Alfred COUTTET, Miss Geraldine I Fitz-Gerald et Anatole Bozon, réalisent la 1ère traversée complète et sans bivouac des Grandes Jorasses en 22h20, du Col des Jorasses au Col des Hirondelles (3 456 m).
Un exploit sensationnel, suivant de peu celui de la deuxième ascension de l'Aiguille de la République, vient d'être accompli par Mlle Géraldine Fitz-Gerald et ses guides Alfred Couttet et Anatole Bozon.
Partant du refuge de Leschaux (2.400 mètres environ) à 3 h. 10 du matin, le 31 août, la caravane atteignait le Col des Grandes Jorasses (3.825 mètres) à 7 h. 15 du matin, ayant eu assez de peine à franchir les dernières pentes fortement redressées et toutes en glace vive. Partant du Col à 7 h. 30, les alpinistes escaladèrent les rochers difficiles et verglassés qui les conduisirent à la Pointe Young. Ce fut le passage le plus rude de la course. A 9 h. 30, la Pointe Young était gravie et la caravane continuait jusqu'à la pointe Helena (4.045 mètres) et enfin la Pointe Whymper (4.196 mètres). Utilisant la corde et gagnant la brèche profonde qui sépare les deux principaux sommets des Grandes Jorasses, à 14 h. 30, la pointe Walker, sommet culminant était atteinte (4.208 mètres).
De la pointe Walker, l'arête descend continuellement vers l'Est, jusqu'au Col des Hirondelles (3.456 mètres), soit 800 mètres de dénivellation.
D'abord facile, la descente de l'arête devint bientôt verglassée et, à plusieurs reprises, la corde de rappel dut fonctionner. Le passage de la Brèche en V, ressaut rocheux qui arrêta longtemps les tentatives d'ascension de cette arête, fut effectuée en un seul rappel de 35 mètres de hauteur. Alfred Couttet trouva les pitons placés par le guide Rey, qui en fit la première ascension. A 19 h. 40, le Col des Hirondelles était atteint. La nuit était venue, mais Alfred Couttet, désireux d'éviter à Mlle Fitz-Gerald les rigueurs d'un bivouac à pareille altitude, n'hésita pas à descendre de nuit les escarpements du Col, qui lui étaient totalement inconnus. A 1 h. 30, le 1er septembre, les trois vaillants grimpeurs rejoignaient le refuge de Leschaux. La première traversée complète et sans bivouac des Grandes Jorasses avait été réalisée en moins de 22 heures 30 de marche.
[Article extrait du quotidien "Figaro" N°249 du 6 septembre 1930]
- 5 septembre • Pour redescendre du Col du Fou (3 365 m), Alfred COUTTET, André Clerico, J. W. Alexander et un ami, feront une première en rejoignant puis en empruntant le Glacier suspendu de Blaitière. Il est à noter qu'à l'époque, rares sont les grimpeurs suffisamment talentueux pour réussir l'escalade particulièrement difficile du bloc sommital de l'Aiguille du Fou (3 501 m) en escalade libre grâce aux menues prises de ce monolithe de granite, c'est-à-dire sans lancer de corde. Avec Armand Charlet qui réussit le premier ce tour de force l'été 1926, seuls Jean Grobet, Hugues Paillon, M. Pojet et Alfred COUTTET réalisèrent cet exploit.
1931 •
- 24 juillet • Première traversée intégrale de l'arête Nord Ouest de l'Aiguille du Peigne par Alfred COUTTET, Melle Paule Brunaud, et André Clérico.
- 26 juillet • Alfred COUTTET, Roger Valluet et Henri Comte réussissent la performance de faire l'ascension de l'Aiguille des 2 Aigles depuis Chamonix en une seule journée.
Cette même année, cette même cordée réalisera un autre record de vitesse, la face Nord de l'Aiguille de Bionnassay en 4h30 ! En 1963, alors âgé de 74 ans, Alfred COUTTET, toujours "bon pied bon œil", refit cette course !
1933 • 7 mai • Tout a commencé un an plus tôt au Rocher Saint-Julien (696 m) à Buis-les-Baronnies (Drôme) :
"COUTTET entre en scène. C'est ainsi que le 22 mars 1932, un Américain : Paul Leroy-Edwards, accompagné d'Alfred COUTTET, guide à Chamonix, remonte l'arête Ouest, parvient à la Brèche Occidentale, mais doit abandonner à la base du Grand Ressaut et redescendre par une succession de vires, en contrebas et le long de l'arête Ouest, face Nord de la Montagne.
Piqué au vif par l'échec de son client, COUTTET revient à la charge l'année suivante, accompagné de Messieurs Antonin et Jean Rozier, membres de la section Lyonnaise du Club Alpin Français, et du porteur chamoniard Demarchi.
Le 7 mai, la caravane remonte l'arête Ouest, force le Grand Ressaut et atteint le sommet du Châtelet Ouest où elle laisse, dans une bouteille, le procès-verbal de son ascension. Cependant, cette fois encore, COUTTET est déçu, car faute de temps, la caravane doit abandonner la traversée intégrale des arêtes et descendre par des rappels successifs, de la Brèche Ouest du Réduit. Mais il a de la suite dans les idées.
[Auguste Ferrière - Revue Alpine section Lyonnaise du CAF N°349 - 1946]
1934 • 18 avril • Dès le printemps, il revient à l'assaut, accompagné de Mme Marti. Reprenant l'itinéraire déjà deux fois parcouru, la cordée enlève les obstacles cités plus haut, ouvre une voie dans la face Ouest du Réduit Central et parvient au point culminant de la traversée, une première.
Mais il faut croire que les circonstances bien impérieuses s'opposent au désir des deux grimpeurs, car aux deux tiers de la traversée, ils abandonnent la partie et redescendent en plusieurs rappels par la Brèche Ouest du Réduit. Fatigué de cette série d'échecs dont il n'est pas responsable, COUTTET ne reviendra plus au Saint-Julien et c'est dommage ; la "première" de la traversée intégrale des arêtes lui échappe à partir de ce moment, quoique moralement il l'ait bien méritée."
[Auguste Ferrière - Revue Alpine section Lyonnaise du CAF N°349 - 1946]
1937 • Première de l'arête Nord de Pierra-Menta dans le massif du Beaufortin.
D'autres premières sont à mettre à son actif :
Avec sa nombreuse et prestigieuse clientèle internationale, Bradford Washburn (licencié de Harvard, fondateur du Musée des Sciences de Boston, décoré du Centennial Award of the National Geographic Society,…), Albert Szent-Györgyi de Segez en Autriche (Prix Nobel de Médecine 1937), il parcourt l'Europe des Montagnes. Invité en Norvège, appelé en Pologne dans les Tatras, en Slovaquie dans les Beskides, aux Carpathes en Roumanie, demandé en Espagne, réclamé au Tyrol, il a laissé son empreinte sur de très nombreux sommets et grattons de notre vieille Europe. Ne parlons pas des Alpes qu'il connaît à fond, été comme hiver, car il fut également l'un des promoteurs des grandes randonnées à ski et du ski-alpinisme. Il gravit les Sierras Espagnoles et toujours attiré par l'escalade pure découvre nombre de petites escalades françaises telles que les Dentelles de Montmirail.
© copyright Famille Couttet Champion | tous droits réservés | image protégée
Aujourd'hui, d'archives en témoignages, j'ai la satisfaction de savoir que mon Champion de grand-père était, selon les avis compétents, un homme hors du commun et le meilleur grimpeur de sa génération !
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